Échanges culturels sur le théâtre naturaliste au Portugal et au Brésil à la fin du XIXe siècle

Ana Clara Santos
Université d’Algarve

On a bien fini par lire mes romans,
on finira par écouter mes pièces.
Émile Zola

Les échanges culturels entre le Portugal et le Brésil sont bien fortifiants de tous temps. Pour des raisons politiques, économiques, sociales, linguistiques et littéraires, le rapprochement entre les deux pays s’intensifie bien avant la période qui nous intéresse. Ainsi assiste-t-on dès le début du XIXe siècle, à une prolifération au niveau de la circulation des biens culturels qui se traduit, le plus souvent, par l’effervescence du monde de l’édition et de la mise en place de tournées théâtrales des compagnies portugaises au Brésil, signe d’une consécration acquise. Si les relations maintenues se situent encore, de ce point de vue, sur un plan asymétrique, plutôt dans le sens Lisbonne Rio, elles dérivent néanmoins d’un même épicentre : la France. Le rayonnement culturel français a bien débordé l’espace européen pour atteindre, avec la même énergie, celui du nouveau continent. Ce jeu de miroir ne fera que s’accentuer pendant la deuxième moitié du siècle lorsque la circulation des troupes portugaises, françaises et italiennes, devenue plus intense, transporte à Rio de Janeiro ou à S.Paulo les grands succès dramatiques issus, pour la plupart, du répertoire du théâtre français.

Cette intervention qui a pour fondement l’étude des échanges culturels entre le Portugal et le Brésil à l’aube du naturalisme, vise au-delà d’une étude de l’impact des idées zoliennes sur la dramaturgie portugaise et brésilienne, attirer l’attention sur la nécessité d’un regard prééminent sur le renforcement des liens culturels à cette époque entre les deux pays. En effet, une meilleure connaissance de la circulation des idées naturalistes permettra, du moins dans le champ théâtral, réévaluer le rôle joué par certaines troupes théâtrales ou par la critique dans certaines collaborations au niveau de la presse.

Comme en France, le théâtre naturaliste aura ses adversaires qui l’empêcheront de germer. Si le naturalisme s’implante très vite dans le domaine de l’écriture romanesque, il n’en sera rien dans celui du théâtre. L’attachement du public à la convention théâtrale ainsi que son goût exacerbé pour le drame historique ou le drame d’actualité, l’empêche d’accueillir à bras ouverts, comme l’auraient souhaité les adeptes de Zola, une rénovation de la scène nationale impérieuse aux yeux de la nouvelle génération. Zola lui-même dans son Naturalisme au Théâtre ne faisait que renforcer l’écart qui séparait la concrétisation romanesque naturaliste du chemin qui menait à l’avènement tant souhaité des idées naturalistes dans la dramaturgie moderne:

J’ai montré que la force d’impulsion du siècle était le naturalisme. Aujourd’hui, cette force s’accentue de plus en plus, se précipite, et tout doit lui obéir. Le roman, le théâtre sont emportés. Seulement, il est arrivé que l’évolution a été beaucoup plus rapide dans le roman ; elle y triomphe, lorsqu’elle s’indique seulement sur les planches. Cela devrait être. Le théâtre a toujours été la dernière citadelle de la convention, pour des raisons multiples, sur lesquelles j’aurai à m’expliquer. Je voulais donc en venir simplement à ceci : la formule naturaliste, désormais complète et fixée dans le roman, est très loin de l’être au théâtre, et j’en conclus qu’elle devra se compléter, qu’elle y prendra tôt ou tard sa rigueur scientifique ; sinon le théâtre s’aplatira, deviendra de plus en plus inférieur (…) J’attends enfin que l’évolution faite dans le roman s’achève au théâtre, que l’on y revienne à la source même de la science et de l’art moderne, à l’étude de la nature, à l’anatomie de l’homme, à la peinture de la vie, dans un procès-verbal exact, d’autant plus original et puissant, que personne encore n’a osé le risquer sur les planches[1].

Trois ans après la publication de l’ouvrage de Zola à Paris, les mêmes propos sont repris par Júlio Lourenço Pinto au Portugal. L’avant-dernier chapitre de son Estética Naturalista dédié au théâtre, constitue non seulement une reprise du titre de l’oeuvre de Zola—Naturalisme au théâtre—mais surtout une appropriation des concepts et de l’expression verbale de l’auteur français[2]. Après une critique sévère du théâtre classique et romantique, il en vient à faire l’apologie du naturalisme en insistant sur les nouveaux procédés au niveau de la mise en scène et de la scénographie:

O theatro ainda resiste á moderna evolução artistico-litteraria; as transformações por que tem passado a scena nos ultimos annos estão longe de exprimir o pleno triumfo com que a nova formula conquistou os dominios do romance: mas, bem observado o recente movimento reformador que se opera na scena, não se póde desconhecer que a influencia irresistivel da moderna renovação artistica vai dominando essa resistencia e preparando os espiritos para a comprehensão do ideal moderno no theatro, que, n’esta lucta da tradição e das convenções com o espirito novo, combate como os heroes da antiguidade, quando entrava com elles a preoccupação de que a fatalidade os condemnava a succumbir.
Mas a formula naturalista que triumfa no romance adaptar-se-ha com a mesma facilidade ao theatro?
Portanto a formula naturalista, ao rigor que se ajusta ao romance, tem de soffrer as modificações que são impostas pela natureza especial do theatro. Assim succede que o descriptivo indispensavel no romance para fixar as condições do meio, para determinar as influencias de qualquer ordem que actuam nos personnagens, não tem cabimento no theatro. Falta na scena este poderoso elemento para se profundar o estudo dos temperamentos, a analyse psychologica dos caracteres. O descriptivo suppre-se pelo scenario, pelo vestuario, pela caracterisação, e n’estes meios, por mais que se procure cingil-os á verdade natural, ha de existir sempre mais ou menos um fundo inalienavel de ficção.
O scenario, a mise en scene, o vestuario, estão para o theatro, como o descriptivo para o romance: o scenario esclarece e completa uma situação, e, (…) como todas as cousas do theatro, deve obedecer ás leis da optica para poder ser quanto possivel uma illusão da realidade. Verdade no scenario, nas decorações, nos accessorios não significa a pretensão impossivel de transplantar para o palco a natureza em toda a plenitude da realidade: a representação material da natureza e da realidade no theatro devem ser taes, que a imaginação despertada possa evocar a cousa representada como ella realmente existe, e esta viva evocação não se consegue no theatro sem os effeitos do relevo, da perspectiva e da optica[3].

Désormais le dramaturge doit s’attacher surtout à mettre sur scène une réalité qui explique tout le comportement humain déterminé par la race, le milieu et le moment. Grâce à l’exemple des adaptations théâtrales effectuées par Zola et ses collaborateurs, le théâtre s’achemine vers l’individualisation au sein de la généralité où l’analyse expérimentale et l’étude anatomique de chaque être deviennent l’écho de l’union entre théâtre et roman. Le théâtre acquière ainsi une mission d’autant plus importante qu’il est censé donner à voir, par une suite de tableaux, l’image du vrai avec l’aide d’un élément extérieur, le décor, transposition de la description romanesque au théâtre.

Face à ce panorama, il est tout à fait normal que la bataille naturaliste se livre sur les planches et accueille de la sorte les premiers essais de la nouvelle école qui seront rattachés à quelques troupes portugaises et brésiliennes qui partagent, pour la plupart, leurs expériences avec le public dans les deux pays. Nombreuses ont été les pièces zoliennes qui ont marqué le parcours des acteurs portugais sur la scène à Lisbonne. Certains d’entre eux doivent à ce répertoire leurs débuts au théâtre. Tel est le cas de Pedro Cabral, l’un des plus jeunes acteurs de l’époque. Il débuta sa carrière dans Teresa Raquin – ouvrage qu’il traduisit lui-même; puis, il la poursuivit avec Nana et il la termina avec sa traduction des Héritiers Rabourdin, mise en scène en 1903 au Théâtre du Gymnasio par José Joaquim Pinto. José Carlos dos Santos, quant à lui, s’autoproclame lui-même l’introducteur du théâtre naturaliste au Portugal:

Aproveito a ocasião para dizer aos que se interessam por estas coisas, que fui o primeiro que tornei conhecido no theatro portuguez o nome de E. Zola. O seu drama Thereza Raquin, representado no Theatro dos Recreios pela companhia da actriz E. Adelaide, ainda que não fui o traductor, contudo fui eu que apresentei a peça, insisti com a empresa para a mandar traduzir, fazel-a representar, e eu mesmo dirigi os ensaios.
A Taberna, traducção do Assommoir, é agora o momento de agradecer reconhecido a toda a imprensa os elogios que dispensaram à minha traducção, ao publico que a recebeu com tantas provas de agrado, a Salvador Marques que tão dignamente a pôz em scena, e finalmente a todos os meus collegas que me coadjuvaram n’aquella árdua tarefa; e eu conhecia bem os espinhos que a rosa tinha…[4]

Ajoutons à cela la fortune que la pièce a connu à Rio au théâtre Apollo au mois de juillet 1893 lorsque les acteurs portugais partent en tournée au Brésil.

Dans ce panorama des représentations scéniques des oeuvres zoliennes, Nana fut la pièce de Zola qui, à en croire la presse de l’époque, a connu le plus grand nombre de reprises sur la scène portugaise. La Gazeta dos Teatros en 1887 informait son public au sujet de la reprise de Nana au Théâtre du Príncipe Real, “magnifique drame réaliste d’Emile Zola […] où, deux ans auparavant, Alvaro et Margarida Cruz, qui jouait admirablement le rôle de Nana, s’étaient fait acclamer”[5]. Deux ans plus tard, la revue Tim tim por tim tim de Sousa Bastos annonçait qu’on avait “l’idée de faire cette saisonlà au Théâtre du Príncipe Real une reprise du drame Nana avec Lucinda Simões.”[6]

Au Brésil on doit justement à cette actrice portugaise, Lucinda Simões, et à son mari, Furtado Coelho, l’introduction du naturalisme au théâtre. Fixés au Brésil depuis un certain temps, conscients des nouvelles tendances de la mise ne scène et de l’art de la représentation, ils s’attacheront tout d’abord à mettre sur scène les adaptations des romans de Eça de Queirós et d’Emile Zola. Dans une adaptation signée par Antonio Frederico Cardoso de Meneses, O Primo Basílio sera mis en scène par Furtado Coelho au Teatro Cassino le 4 juillet 1878. L’adaptation de la « pièce réaliste en cinq actes et neuf tableaux »[7] visait, avant tout, atteindre le même succès qu’avait couronné la circulation du roman de l’auteur portugais depuis quelques mois à Rio de Janeiro. Peine perdue car elle sera, comme on le sait, marquée par l’échec sur le théâtre donnant origine à de nombreuses polémiques dans la presse de l’époque. Malgré cet échec il y reviendra à nouveau le 25 avril 1890 lorsqu’il présente l’adaptation d’Augusto Fabregas du roman O Crime do Padre Amaro qui atteindra, il faut bien le dire, un succès satisfaisant sur la scène brésilienne. Ces essais auront servi à lancer le débat autour des idées zoliennes et, en 1880, les artistes portugais inaugurent le théâtre Lucinda avec la mise en scène de Teresa Raquin en portugais grâce à la traduction du poète Carlos Ferreira (le 26 juin 1880). Si l’adaptation zolienne avait été couronnée par l’échec à Paris en 1873, il n’en était rien à Rio. Bien au contraire. La presse en faisait éloge des mérites de la mise en scène et de l’interprétation des rôles par les acteurs portugais. La Gazeta de Notícias, entre autres, signalait la consécration de l’actrice portugaise Lucinda Simões:

Nem respiração ofegante nos momentos solenes, nem voz entrecortada por soluços a compasso, nada do que ficou da tradição do antigo dramalhão para os grandes lances; simplesmente a expressão do sentimento na voz, no rosto, no gesto, sentimento que se transmite ao espectador, sem que o artista o previna com uma pausa que quer dizer: – aí vai cena comovente[8].

L’actrice portugaise avait bien compris la portée de la préface de la pièce zolienne lorsque celui-ci signalait, à propos du jeu d’acteurs et de la création des caractères, l’urgence « qu’ils ne représentent, mais vivent devant le public ». Ce processus de transformation du personnage qui devait se rapprocher le plus possible de la vie quotidienne et de la réalité, dénouée de tous les artifices de la représentation, Lucinda Simões nous le raconte dans ses mémoires:

Todos os bons artistas do Brasil formavam a nossa companhia e tivemos uma época de brilhante êxito (…) Sendo sempre as premières para mim, de grande preocupação, foi exceptuada essa da Thereza Raquin. Na noite da estreia, estavam já músicos na orchestra e eu passeava ainda, muito socegadamente nos jardins do theatro, o que bastante admirou pessoas de minha amizade, a quem respondi, que me encontrava tão tranquilla, como numa noite normal.
Fui para o camarim ao começar a symphonia e attendendo ao género de papel, não me arranjei, desarranjei-me. Ageitei desgraciosamente o cabello, carregando a physionomia pelo penteado, sem auxilio de pintura.
Ao levantar do panno, estava sentada numa cadeira baixa, à boca da scena, olhando no vago.
Meus pães, que estavam assistindo ao espectáculo, não me reconheceram e perguntaram um ao outro quem eu seria.
Só quando falei, pela voz se certificaram que era a sua filha[9].

La pièce incorporée désormais dans le répertoire de la compagnie portugaise en fera la renommée de Lucinda, saluée par la presse à Lisbonne en tant que « l’admirable interprète de Teresa Raquin » jusque dans les terres d’Espagne dans ses tournées à Madrid. Mais si la critique récompensait les efforts vérifiés du côté de la mise en scène et du jeu d’acteurs, elle ne fut pas unanime à applaudir la tâche entreprise par l’auteur français. Remarquons, à titre d’exemple, les critiques sévères qui lui sont adressées au Brésil et au Portugal. Dans le journal Gazeta de Notícias, sous le pseudonyme S. Saraiva, Henrique Chaves accuse Zola de ne pas suivre les préceptes avancés par lui- même lors de ses écrits théoriques et d’avoir suivi, surtout dans les derniers actes de Thérèse Raquin, les conventions et les ficelles de la pièce bien faite:

Acabaram por ler os meus livros, hão-de applaudir as minhas peças, acrescenta ainda o mestre da escola naturalista. Nada mais certo, mas com uma pequena condição – a das peças conservarem a mesma índole que os livros.
Ora, ahi é que se nos afigura estar exactamente a maior dificuldade. O naturalismo não encontra as portas do theatro abertas com a mesma franqueza, com que as encontrou o livro. Na própria Thereza Raquin, o Sr. Zola encontra a prova de que as suas theorias absolutas não tem applicação ao theatro, não porque os processos a empregar são differentes porque ellas ostentem o seu verdadeiro valor (…) Já dissemos que os dois primeiros actos do drama são os únicos em que se percebe a obra de um naturalista. Os dois últimos, porém, a que escola pertencem? Não o sabemos dizer. Têm todos as características das grandes tragédias e dos dramas condenados pelo Sr. Zola, e muito bem condemnados (…) Apreciar uma obra de Zola suggere duvidas d’esta ordem, porque a cada passo, affiguram-se-nos contradições entre o que elle faz e o que elle prega. Thereza Raquin não é um mau drama; mas com toda a certeza não é o que devia apparecer para derrocar o antigo e velho drama…[10]

Pour en revenir à la chronologie des adaptations théâtrales zoliennes au Brésil, L’Assommoir et Nana sont mises en scène un an après Thérèse Raquin et deux ans après sa représentation au théâtre de l’Ambigu à Paris. Dans une traduction de Ferreira de Araújo la première sera jouée le 28 avril 1881 au théâtre S. Luís à Rio par la compagnie de Guilherme da Silveira dans laquelle Isménia dos Santos joue le rôle de Gervaise. Il faudra attendre presque dix ans pour revoir la pièce sur scène à Rio (théâtre Santana, juillet 1890), jouée cette fois-ci par la troupe portugaise du théâtre du Príncipe Real qui, pendant la décennie précédente, donnait à Lisbonne, comme on a vu, la représentation de la Taberna avec les acteurs Álvaro e Amélia Vieira, Amélia Vianna, Dorothea, Carlos Posser, Salazar, Faria, Almeida e Roque.

Cochichava-se por ahi, nos conciliabulos da intriguinha e da má língua indígenas, por entre umas baforadas de pessimismo petulante, muito nossas, muito burguezas, que L’Assommoir de Zola seria duas vezes estropiado: na traducção, e no palco da rua dos Condes (…) traduzir o auctor dos Rougon Macquart e trazer para o velho tablado da rua dos Condes a lavandaria de L’Assommoir, era um duplo tour-de-force, de mais difficil execução, que qualquer dos trabalhos impostos ao famoso Hércules da mythologia oriental; um impossível metaphisico; um verdadeiro milagre! E, afinal de contas, com grande pasmo dos que duvidavam (…) fez-se o milagre, sendo milagreiro o actor Santos (…) e a peça de Zola teve um sucessoassombroso.[11]

La deuxième, Nana, sera jouée le 19 novembre de la même année au théâtre Recreio Dramático. On le voit, le théâtre portugais et brésilien aura les mêmes difficultés que Zola à remettre en cause les pratiques conventionnelles. L’art théâtral, proposé au jugement de ses semblables et dépendant du goût du public qui le reçoit, reste indissociable non seulement des courants littéraires et esthétiques mais aussi des fluctuations du goût préconisées par les données culturelles et sociales. Le goût envers le théâtre de Scribe, de Dumas, d’Augier, de Sardou, de Feuillet ou de Pailleron limitera le succès sur la scène du théâtre naturaliste. On l’a vu, une certaine critique de l’époque s’emploie fortement à proclamer les nouvelles tendances dramatiques en vue de la consolidation du goût pour le théâtre naturaliste. À côté des noms déjà cités, ajoutons ceux de Narciso Feyo, Augusto de Lacerda, Teixeira Bastos[12] au Portugal ou Urbano Duarte et Sílvio Romero au Brésil, entre autres, qui se feront leur porte-parole dans ces nombreux essais critiques. Ce chemin sera accompli par la création dramatique et par la production dramaturgique uniquement grâce à l’apprentissage effectué auprès des troupes étrangères qui visitaient régulièrement Lisbonne et Rio. C’est sous l’impact des pièces de Brieux, de Curel, d’Ibsen, de Hauptmann, de Sundermann ou de Zola que non seulement les dramaturges portugais et brésiliens changeront leurs pratiques théâtrales mais que le goût du public sera aussi édifié. Dans ce sens, il aura fallu l’influence d’Antoine et les deux tournées du Théâtre Libre à Lisbonne[13] pour constater des changements définitifs:

No teatro, que era o templo do convencionalismo, da ficção e da mentira, ele ergueu um templo novo, majestoso e austero, colocando a Natureza no altar do convencionalismo, entronizando a Vida no nicho da Ficção e sangrando, no tabernáculo da mentira, desgrenhada e radiante, a imagem da Verdade.[14]

Après les expériences du Freie Bühne, de L’Independent Theater, de l’Irish Literary Theater et du Théâtre de l’Art, le “Teatro Livre” naît à Lisbonne en 1904. Sous la devise “Transformer par l’Art, rédimer par l’Education,” ce théâtre misera surtout sur un théâtre d’intervention où les thèmes d’ordre politique sont à l’ordre du jour et au service d’une aspiration nationale: celle de l’abolition de la monarchie grâce à l’implantation du système républicain. On s’efforcera néanmoins, du point de vue artistique, d’accoupler les adaptations des pièces du répertoire d’Antoine et les pièces originales des jeunes auteurs portugais[15]. Les acteurs eux-mêmes adhèrent à ce projet. Tel est le cas d’Adelina Abranches qui devient membre de la Société du “Teatro Livre.” Elle raconte dans ses Memórias comment le public, pendant la deuxième saison (16 juin–31 juillet 1905), découvre les pièces d’un genre nouveau:

Convidada em 1905 a fazer parte, como primeira figura, de uma sociedade artística que, vencendo dificuldades, se propunha realizar espectáculos de Teatro Livre, no Ginásio, aceitei, tentada por esse novo género (…) Trabalhámos que nem mouros; pusemos peças interessantíssimas. Mas os jornais conservadores atiraram-se-lhes à ideia, à forma e até à interpretação, como gato a bofe, o que deu em resultado trabalharmos… para as cadeiras! (…) Como as peças estrangeiras eram todas de autores consagrados, os tais jornais conservadores não se atreveram a liquidá-las; mas os nossos originais, oh, pai da vida… como foram sovadinhos! (…) Tive grande pena que este género de teatro não fizesse carreira entre nós. Era um teatro sério, que obrigava a pensar…[16]

Mais cette tentative fut vite vouée à l’échec. Le public portugais n’était pas encore prêt à apprécier un théâtre susceptible d’appréhender les questions soulevées par la société contemporaine et de renvoyer à l’auditoire sa propre image. L’actrice finit ainsi par se résigner devant les propos d’un ami qui lui dresse un tableau fidèle de la situation:

Mas tive de dar a mão à palmatória, quando um grande amigo nosso me disse a rir muito, findo o primeiro mês de magro dividendo:
 – Façam as trouxas, ricos filhos… Então passou-lhes pela cabeça que os ricaços, que amealharam os cobres à custa do suor dos humildes, gostariam de se ver retratados num palco? E que os moralistas ouviriam, sorridentes e satisfeitos, todos os ataques à sua hipocrisia moral? Vocês são anjinhos… Preguem-lhes mas é com o “Amor de Perdição” se querem ganhar algum… Histórias de amor é que eles gostam; não se arrisquem a outras mais complexas. O burguezinho gosta de vir para o teatro com o palito nos dentes, a bufar de empanturrado, para assistir a um espectáculozinho que lhe não perturbe a digestão… Se vocês não têm por cá disso, façam as trouxas, filhos; façam as trouxas…
E nós fizemos as trouxas.[17]

Si le passage d’Antoine par Lisbonne laisse au moins quelques semences qui conduisent, comme on vient de voir, à la concrétisation de certaines expériences théâtrales susceptibles de motiver une nouvelle génération d’artistes, sa réception au Brésil sera beaucoup plus polémique et moins féconde. A part, bien sûr, les problèmes d’ordre financier[18], Antoine se débattra très vite avec des problèmes d’un ordre beaucoup plus important : ceux qui touchent à la question esthétique et dramatique. En fait, le metteur en scène français n’hésite pas à faire part de ces problèmes dans une lettre adressée à son ami Gabriel Trarieux:

Cependant le haut du pavé est tenu par un certain Azevedo qui s’intitule le «Sarcey de l’Amérique du Sud», et dès notre première et unique entrevue, j’avais flairé l’ennemi. Il m’a couvert de fleurs, puis a commencé à me ressortir toutes les vieilles scies d’il y a 15 ans : inutilité de la mise en scène, tranches de vie, pièces bien faites… j’ai alors broché en deux jours et deux nuits ma conférence là-dessus et je l’ai froidement erreinté pendant une heure, aux trépignements enthousiastes de la salle, ravie de ce spectacle. 7 ou 8 mille francs de recette et 7 ou 8 rappels. Le Directeur du «Temps» d’ici se précipitait dans ma loge, m’arrachait le manuscrit et le lendemain matin à 8 heures, le morceau entier paraissait traduit. Gros effet. J’ai détruit cet homme dans l’esprit de ses compatriotes. Le lendemain, le président de la République qui suit avec soin, accompagné de ses deux filles, m’a fait appeler dans sa loge, pendant le spectacle pour me féliciter. Voilà, mon vieux.[19]

Si on croit ces propos, il semblerait donc qu’à l’image de la bataille livrée en France entre la nouvelle école et celle des pratiques conventionnelles, la mission du Théâtre Libre à Rio se situe du côté de la profession de la doctrine naturaliste. Antoine avait vu juste. Les adversaires étaient nombreux, mais le plus acharné était sans doute Artur Azevedo. Sa conférence ne manquera pas son but : l’attaque implicite à cet illustre brésilien qui se trouvait dans la salle, le 10 juillet 1903. Reprenant de façon ironique un des clichés sur le Brésil, il déclare n’avoir pas trouvé de serpents, de singes ou de perroquets dans les rues de Rio, mais « tout simplement l’ancien esprit de Sarcey qu’[il] croyait endormi au paradis des feuilletonistes et qu’[il a découvert] caché sous les fleurs d’un de [leurs] principaux critiques[20]:

Vim encontrar aqui o seu nome e as suas doutrinas na pena de um dos vossos críticos mais autorizados. Reli, traduzidas para a minha língua, as suas frases, que entre nós ficaram famosas sobre a peça bem-feita (…) O velho mestre do Temps esteve, pois, sempre em oposição com o que nós admiramos e, bem se pode dizer, somente no dia em que a sua exaustada mão de bom trabalhador deixou escapar-se-lhe o cetro da crítica que o teatro francês teve a sua liberdade. Se, conforme me disseram, vos anima a bela e legítima ambição de criar um teatro verdadeiramente são e vivo, uma casa de arte nacional, defendei-vos dos Sarcey – se existem entre vós – e não os deixei manietar e esterilizar o vosso esforço.[21]

La véritable mission de cette tournée se révèle donc par une apologie des nouveaux procédés au sein de la production dramatique au nom de la découverte d’une nouvelle dramaturgie européenne susceptible de rénover le monde théâtral:

Laborando talvez em erro, visamos, entretanto, mais alto e queremos, sobretudo, apresenta-vos um quadro original, sumário, mas significativo e completo da actual produção dramática na França. O que mais ambicionamos é mostrar-vos, num agrupamento característico, único pelas ligações e comparações que exige, uma obra importante de cada um dos autores dramáticos que se revelaram em nosso teatro e se impuseram ao público nestes últimos quinze anos. Numa palavra, desejaríamos que apreciásseis, por exemplos alternados, a importante evolução teatral realizada na França e que, podemos afirmar com segurança, se fez sentir na quase totalidade da produção dramática europeia.

Cette évolution théâtrale tant souhaitée dont la France naturaliste acquiert ici, le statut de modèle esthétique, prendra son temps mais aura laissé de fécondes semences tant au niveau du renouvellement de l’écriture dramatique comme au niveau de la pratique théâtrale. On l’a vu, la bataille théâtrale naturaliste n’a pas été moins enflammée sur les terres portugaises et brésiliennes. Elle aura servi en contrepartie à renforcer les liens entre les deux pays du point de vue culturel. Simple coïncidence? Certainement pas. Véritable illustration de la circulation d’idées et de sa germination, elle aura conduit les intellectuels d’expression portugaise vers une prise de conscience de la mission sociale assignée à la pratique théâtrale indissociable de son pouvoir d’intervention auprès d’un public aux moeurs encore trop traditionnelles. Véritable tournant dans l’histoire du théâtre, elle aura servi néanmoins à la remise en cause des conventions théâtrales, au repositionnement de certaines pratiques relatives au jeu d’acteurs et à l’art de représenter ainsi qu’à l’éclosion d’un nouvel art, celui de la scénographie.

En somme, le « théâtre du futur » préconisé par certains théoriciens trouve sa voie dans la concrétisation de la méthode naturaliste qui place le théâtre portugais et brésilien à l’heure de l’Europe dans une volonté réformiste, tant au niveau de la création littéraire qu’au niveau de la représentation, véritable tournant dans l’histoire du théâtre mondial.

 

[1] Emile Zola, Les Annales du Théâtre et de la Musique précédées du Naturalisme au Théâtre par M. Émile Zola, éd. Edouard Noël et Edmond Stoullig, Paris, G. Charpentier, 1879, pp. XXVIII-XL.

[2] On remarquera, à ce propos, que des revues spécialisées de l’époque s’emploieront à diffuser, quelques années durant, les idées naturalistes en matière théâtrale, publiant notamment des extraits et des citations de l’oeuvre zolienne.

[3] Júlio Lourenço Pinto, Estética Naturalista, Porto, Livraria Portuense Clavel & C.ª, 1884, pp. 306-307; 309-312.

[4] José Carlos dos Santos in Álbum do actor Santos. Repositório de curiosidades dramáticas, Lisbonne, Typ. Mattos Moreira, 1885, p. 148.

[5] A Gazeta dos Teatros, 1887, nº 3

[6] Tim Tim por Tim Tim, 16 nov. 1889, nº 1.

[7] La pièce était ainsi annoncée sur les affiches de l’époque.

[8] Gazeta de Notícias, 28 juin 1880.

[9] Lucinda Simões, Memórias. Factos e Impressões. Rio de Janeiro, Typ. Fluminense, 1922, pp. 137-138.

[10] Jornal de Notícias, 1 juillet 1880. Júlio Lourenço Pinto in op. cit. ira encore plus loin.:

Na Thereza Raquin o eminente romancista deu preferência ao género terrível, que não é o mais adequado para implantar uma inovação no teatro moderno.
A Thereza Raquin, explorando o género repugnante, desfecha n’um misterioso trágico-fúnebre, em que desgenerou o romantismo no último período da sua decadência, e o nosso espírito, mal impressionado com o fúnebre desenlace tirante aos finais das tragédias shakespearianas, deslocados nos dramas modernos, interroga suspeitoso se na resolução instantânea dos cônjuges criminosos, que recorrem a um suicídio fulminante, há aquele rigor lógico da verdade, inalienável da fórmula naturalista.
A Thereza Raquin, com o papel de protagonista interpretado por uma actriz de valia, teve apenas a grande virtude de nos mostrar como a fórmula realista é susceptível de se adaptar ao teatro. Lucinda Simões encarregou-se de demonstrar triunfantemente esta asserção; com o seu vestuário modesto de pequena burguesa soube ser grande, porque foi verdadeira e humana, e provou além disso que a verdade exacta do traje desataviado não apouca a grandeza de uma criação verdadeira e original, e só logra molestar as preocupações femininas de uma coquetterie exagerada e mesquinha.

[11] José Carlos dos Santos, op. cit., pp. 148-149.

[12] Retraçant le tableau de la production littéraire nationale et proclamant l’urgence d’une rénovation du théâtre portugais, Teixeira Bastos part à la recherche de l’auteur naturaliste sur les scènes de Lisbonne. On a récemment eu l’occasion de présenter les résultats de cette recherche au dernier colloque de l’AIZEN, réalisé justement à Rio de Janeiro, dans une communication intitulée «Le Naturalisme sur la scène portugaise : du projet créateur aux controverses » et qui sera publiée prochainement dans la revue Excavatio, Emile Zola and Naturalism, International Review for Multidisciplinary Approaches and Comparative Studies to Emile Zola and his Time, Naturalism, Naturalist Writers and Artists around the World, XX -n.ºs 1-2 (2005), pp. 244-257.

[13] Alors que la première tournée, en 1896, passe presque inaperçue aux yeux de la critique, la deuxième, du 15 au 17 juin 1903, aura un impact décisif sur les hommes de théâtre portugais avec le répertoire suivant: Blanchette d’Eugène Brieux, L’Enquête de Georges Henriot, La Fille Elisa de Jean Ajalbert, Au téléphone d’André Lorde et E. Folley, Boubouroche de Courteline, La Nouvelle Idole de François de Curel et Poil de carotte de Jules Renard.

[14] Joaquim Madureira, Impressões de Teatro, Lisboa, Ferreira e Oliveira, 1905, p. 67.

[15] La première saison donne le ton. Le 8 mars 1904 on présente une adaptation de la pièce La Tante Léontine de Maurice Boniface et d’Edmond Boudin proposée par César Prata et Luís da Mata sous le titre A moral deles accompagnée d’un “épisode” dramatique de Manuel Laranjeira écrit deux ans plus tôt, Amanhã. Les pièces Le Portefeuille d’Octave Mirbeau et Em ruínas d’Ernesto da Silva seront jouées le 19 mars.

[16] Adelina Abranches in Memórias de Adelina Abranches, apresentadas por Aura Abranches, Lisbonne, Empresa Nacional de publicidade, 1947, pp. 269-271.

[17] Adelina Abranches, op. cit, p. 271.

[18] Antoine déclare dans une lettre adressée à son ami Gabriel Trarieux (publiée par celui-ci dans la Petite Gironde le 29 août 1903) : Nous avons fait péniblement 90 mille francs de recettes dans nos 20 représentations. En effet, cela ne répond en rien à ses aspirations énoncées un an auparavant : Le vicomte de Braga, un grand imprésario portugais, en même temps directeur de plusieurs théâtres en Amérique du Sud, me propose, pour l’année prochaine, une tournée du Théâtre Antoine là-bas. C’est la consécration suprême et peut-être quelque argent à gagner ; j’espère que la chose pourra se faire, surtout prévue une année à l’avance. (in Mes souvenirs sur l’Odéon et le Théâtre Antoine, Paris, Bernard Grasset, 1928, p. 200).

[19] Gabriel Trarieux, “Antoine au Brésil », in Petite Gironde, 29 août 1903.

[20] Il convient de rappeler ici que la presse brésilienne de l’époque documente assez bien cette querelle car, bien sûr, la riposte d’Azevedo ne se fait pas attendre et, dès le lendemain, le ton sarcastique de l’auteur brésilien s’intensifie sous un style à caractère profondément anecdotique: Do nosso país tinham dito ao grande artista, em França, coisas incríveis, como, por exemplo, que ele viria encontrar no Rio de Janeiro uma enorme floresta virgem, cheia de papagaios e macacos. Felizmente para nós, Antoine por enquanto nada aqui viu que nos envergonhasse aos olhos do mundo civilizado, a não ser a alma de Francisque Sarcey, que deixou os campos Elísios, e pelos modos, anda espairecendo na rua do Ouvidor (…) Se eu adivinhasse que a alma errante do pobre Sarcey causaria a Antoine tão violentos assomos de indignação nenhuma referência teria feito, nos meus escritos, ao famigerado crítico do Temps (…) O exímio artista lamentou (e quanto lho agradeço!) não ser brasileiro para fundar entre nós o teatro nacional. Não creio, sinceramente o digo, que conseguisse muita coisa com as famosas tranches de vie; talvez não encontrasse no Rio de Janeiro terreno tão preparado como em Paris (…) Talvez que o ilustre teatrólogo parisiense reconheça, mais dia menos dia, que não o enganava totalmente quem lhe dizia que neste país há muitos macacos e papagaios. Há-os; mas nenhum deles é, com certeza, o Artur Azevedo (Correio da Manhã, 12 juillet 1903).

[21] Antoine dans la version traduite de sa conférence publiée par le Jornal do Comércio le 11 juillet 1903.

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